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Bien vivre Alzheimer - Le livre d'éhtique pratique pour les aidants familiaux
Introduction

 

 

 

    Imaginez que l’on vient de vous servir un café et que vous l’avez bu, mais que la zone de votre cerveau servant à mémoriser les faits récents commence à ne plus fonctionner. Votre mémoire ancienne, de son côté, fonctionne sans défaillance : vos souvenirs d’enfance sont clairs et précis, presque comme si c’était hier. À la table du restaurant, vous vous impatientez et bougonnez contre le serveur si long à vous apporter ce fichu café. Votre fille, elle, s’étonne et vous répond d’un ton réprobateur : « Mais voyons, Maman, tu l’as déjà bu ! » Votre cerveau, lui, n’a aucune connaissance de cet évènement. Rien à faire ! Pour lui, il n’a jamais existé de café, quoi qu’en dise votre fille. Vous oubliez au fur et à mesure.

 

    Vous avez des troubles de la mémoire immédiate.

 

    

    Imaginez que vous êtes en famille, à table : vous voulez que l’on vous passe le sel, mais votre cerveau n’arrive pas à retrouver le mot « sel ». Imaginez aussi que le prénom de votre petit-fils, qui justement a la salière devant lui, ne vous revient pas non plus. Ces deux mots vous restent désespérément sur le bout de la langue et vous n’avez d’autre solution que de lancer un : « Chéri, passe-moi le “truc” s’il te plaît ! » en désignant la salière du doigt tout en fixant des yeux votre petit-fils, en espérant qu’il captera votre regard et comprendra que vous vous adressez à lui. Vous obtiendrez alors le sel et votre difficulté passera inaperçue. Et pourtant les mots vous manquent de plus en plus…

 

    Vous avez une aphasie.

 

    

    Imaginez que, comme tous les mercredis matin depuis maintenant cinq ans, vous allez faire votre marché qui se tient à quelques pas de chez vous. Vous en revenez les bras chargés de fruits et légumes frais, mais soudain vous vous arrêtez brusquement : vous ne reconnaissez plus la rue où vous êtes. Elle vous semble totalement inconnue et vous ne savez plus s’il vous faut prendre à gauche, à droite ou continuer tout droit pour rentrer chez vous. Vous êtes bel et bien perdue. Alors vous tournez pendant plus d’une heure dans votre quartier, et finissez par retrouver l’entrée de votre immeuble. Vous insérez enfin la clé dans la serrure de votre porte, vous rentrez pensive et vous entendez votre conjoint s’exclamer : « Tu en as bien mis du temps ! Tout va bien ? ». Vous ne pouvez pas lui dire la vérité : il va savoir, s’inquiéter… Vous dites alors que vous avez rencontré une amie en route.

 

    Vous souffrez de désorientation spatiale.

 

 

    Imaginez que vous avez conscience de ces troubles. Que cela vous inquiète. Que vous vous sentez vieillir et de plus en plus diminué. Vous avez peur du regard des autres. Et vous avez entendu parler de cette maladie… la maladie d’Alzheimer. Alors vous dissimulez vos troubles, parfois vous les niez. Vous vous isolez chez vous, refusant de sortir ou d’accueillir du monde. L’estime de vous-même s’amenuise, vous êtes anxieux, angoissé.

 

    Vous présentez des signes de dépression.

 

 

    Imaginez encore que vous voyez parfaitement les objets autour de vous, mais que vous n’arrivez plus à les reconnaître. Vous ne savez plus à quoi ils servent, comment ils fonctionnent et quelle est leur utilité. Le téléphone devient ainsi une chose étrange à l’utilisation impossible : vous n’appelez plus votre famille. De même avec cette fourchette : vous mangez vos aliments avec les doigts.

 

    Vous êtes agnosique.

 

 

    Imaginez que la personne qui vous aide et qui est à vos côtés vous tend une brosse à dents et du dentifrice. Votre cerveau comprend ce qu’il doit en faire mais il ne retrouve plus la séquence des gestes qui composent le mouvement de bas en haut, permettant de réaliser le brossage. Il en va de même pour mener la cuillère jusqu’à votre bouche, ouvrir ce pot de yaourt ou pour boutonner votre veste.

 

    Vous êtes apraxique.

 

 

    Imaginez que vos capacités de raisonnement, de concentration, de régulation de vos émotions sont défaillantes…

 

 

    Imaginez que vous n’arrivez plus à imaginer…

 

 

    Et pourtant, espérons : espérons que vous serez entouré par une famille et secondé par cet aidant familial dont on parle tant. Espérons que des professionnels du vieillissement sauront vous accompagner respectueusement et travailleront à améliorer votre quotidien. Espérons que notre société continuera à se poser les questions éthiques nécessaires à la protection de toutes les personnes âgées fragilisées par la maladie.

   

    Et surtout : espérons qu’aucun d’entre eux n’oubliera que, quoi que fasse cette maladie à votre cerveau, vous restez leur semblable, fondamentalement lié par des émotions communes, peur, joie, tristesse, et inaliénablement frère d’humanité.

 

 

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